Petite revue des effets de la désinformation en période de pandémie...
1) Les conséquences de la désinformation
L'exposition aux fausses informations réduit les connaissances sur le virus, et réduit les comportements préventifs tout en affectant la santé mentale. Une des conséquences par exemple, même si l'optimisme est crucial sur le plan émotionnel, est que des messages trop optimistes lors de crises sanitaires comme une pandémie peuvent entraîner des décisions préjudiciables, telles que le manque de respect de la distanciation sociale.
Ceci a été confirmé par cette étude : elle est également associée à une augmentation de problèmes d'ordre psychologique : anxiété, dépression et même syndrome de désordre dû au stress post-traumatique (PTSD).
Les fausses informations autour de l'alcool et du tabac qui auraient un effet protecteur contre la covid19 ont entraîné une augmentation de la consommation de ces produits
Il existe même une corrélation entre le nombre de personnes ayant "accidentellement" ingéré des produits de ménage et le nombre de twits à propos de cette idée farfelue dont Trump avait parlé, dans des zones géographiques données aux Etats-Unis.
Le sensationnalisme des journalistes non spécialisés a exagéré l'ampleur des effets cardiaques, qui sont davantage des marqueurs d'une inflammation que des signes d'atteintes sévères...
De même, un preprint problématique a créé une bulle de fausses informations ou d'exagérations autour de la vitamine D.
En Iran, une rumeur selon laquelle l'alcool tue le coronavirus a conduit de nombreux Iraniens à boire de l'alcool contrefait contenant du méthanol toxique. Plus de 300 personnes sont mortes, plus 1000 hospitalisations ont été nécessaires, et beaucoup devraient avoir une perte de vision permanente. D'un point de vue historique, de nombreux traitements présentés comme prometteurs ont créé des catastrophes, même l'aspirine durant la pandémie de grippe espagnole !
Il en va de même pour l'hydroxychloroquine dans cet excellent papier qui explique par exemple qu'avec un taux de survie de 97,3%, le fait de donner un placébo quelconque a 10 personnes présentait 75% de chances pour que les 10 guérissent. Pour mettre en évidence une réduction de mortalité de 25%, il faudrait un échantillon de plus de 16 000 patients.
Conservateurs et traditionnalistes sont ceux qui partagent davantage de théories du complot et de désinforamation. Même des hommes politiques ont propagé des fausses informations (Trump et Bolsonaro).
Aux Etats-Unis, le racisme est un élément moteur pour le développement de théories du complot. La propagation de telles théories, y compris au sommet de l'Etat, pour nier un problème de santé publique, a déjà montré qu'elle était désastreuse dans le cas du sida.
Cependant, il paraît essentiel aux auteurs de ne pas employer le mot "conspirationniste" ou "complotiste" et de construire des ponts en donnant des réponses claires pour réduire l'impact de ces fausses informations.
L'effet de contrer la fausse information est politique. Si le fact-checking démontre qu'un politique est à l'origine d'une fausse information, cela contribue à une "de-fusion" du politique, et à l'inverse, lorsqu'une fausse information est corrigée par un politique, cela participe à une "re-fusion".
Le DS-R signifie deficient self-regulation (manque d'auto-régulation). C'est le facteur qui entraîne le partage de fausses informations, contré par l'exploration. Cependant, une fatigue peut s'installer à force d'explorer, favorisant ainsi le partage d'informations non vérifiées.
Une étude sur Twitter a montré les thèmes les plus utilisés pour nier le coronavirus par exemple.
La désinformation (comme celle de Trump citée dans cet article) peut entraîner des comportements violents envers le personnel médical (menaces, agressions etc...), des cas concrets sont décrits ici.
La désinformation existe sur la stratégie Suédoise, qui comme partout, a misé sur "écraser la courbe" (flatten the curve), mais en faisant le choix d'une plus forte communication, adhésion et responsabilisation que d'une imposition de contraintes par le gouvernement a fait l'objet d'une étude. Parmi les fausses informations véhiculées : "la vie est restée normale en suède", "la stratégie de l'immunité de groupe", "la Suède n'écoute pas l'avis des experts", "Elle ne suit pas les recommandations de l'OMS", "la stratégie Suédoise n'a pas marché et la Suède change son approche", "les Suédois font confiance à leur gouvernement" : tout ça est faux selon les auteurs. Il y a aussi eu beaucoup de désinformation sur le coronavirus en Afrique. Voici par exemple les éléments qui ont fait que les africains n'ont pas tenu compte du virus, se pensant "immunisés" :
Dès le 21 mars 2020, un quart des contenus sur youtube contenaient des fausses informations. C'est également le cas sur twitter, avec un quart de fausses informations dans les tweets.
Le nombre de partages de fausses informations sur twitter est corrélé au nombre de nouveaux cas. Dès le début de l'épidémie, de nombreuses fausses informations de type "rassuristes" sont apparues sur twitter et ont augmenté avec le nombre de cas.
Des campagnes complètes de désinformation ont été lancées, par exemple en Espagne, avec des millions de comptes dédiés à relayer les fausses informations.
Les journaux scientifiques ont également perçu des problèmes de leur côté, les éditeurs ont indiqué que même les plagiats avaient augmenté drastiquement...
Certains preprints ont par exemple comparé le coronavirus à Ebola en Angleterre, à cause de la mortalité en hôpital, qui s'approchait de celle d'Ebola. Les auteurs n'ont pas précisé que pour Ebola, la mortalité par rapport aux cas (CFR) est quasi identique à celle en hôpital (HFR), alors que pour le coronavirus, seule une faible partis des cas est hospitalisée...
La rétention d'informations par les gouvernements sont un facteur accélérant les fausses informations.
Les méthodes pour propager de fausses informations sont nombreuses. On peut citer un ton affirmatif sur une fausse information, contester un consensus établi, simplifier à outrance une information, inonder les réseaux sociaux d'une fausse information, sous-estimer le risque et surestimer sa capacité à le dépasser, combiner des informations fausses et exactes dans un même message, attribuer une fausse information à une source fiable ou officielle, faire des prédictions non vérifiables.
Un aspect positif tout de même : la désinformation sur des thérapies de "manipulation vertébrale" a également été largement diffusée, mais a pu être contrée grâce à l'intervention de personnes influentes sur les réseaux sociaux.
Certaines fausses rumeurs ont pu être contrées sur whatsapp, grâce à une action visant à ce que les gens connaissent mieux le virus. Il est en effet recommandé au personnel médical de combattre la désinformation pour gérer la pandémie. Il y a même eu des cours données à des étudiants en Médecine pour les impliquer dans la lutte contre la désinformation. Il existe aussi des recommandations qui sont de vérifier les créations de sites web (registrar) liés au COVID19, de faire de la veille sur la désinformation pour ne débunker que celles qui prennent de l'ampleur et ne pas perdre trop de temps (tout débunker est impossible), communiquer des informations fiables pour répondre à la demande, communiquer sur les réseaux sociaux en se rapprochant des gérants de telles plateformes pour être mis en avant, utiliser des systèmes d'alerte SMS pour ceux qui ne sont pas sur les réseaux sociaux.
La non-vérification de l'information est un des éléments majeurs poussant à diffuser des fausses informations. Une information a été présentée en posant la question "cette information est-elle vraie ?" ou "seriez-vous prêt à partager cette information ?". Dans le second cas, le nombre de fausses informations auxquelles on adhère était grandement augmenté.
Cette étude a été doublée d'une seconde, où certains participants ont d'abord eu à répondre à une question "cette information est-elle exacte ?" à propos d'une information sans aucun lien avec le coronavirus. Puis on leur a proposé de partager une fausse information en lien avec le virus : le nombre de personnes prêtes à partager la fausse information a triplé dans le groupe auquel on n'avait pas posé la question non liée au coronavirus !
Du fait de l'attention portée sur les "likes" et "partages", la véracité de l'information n'est plus le critère prioritaire poussant à partager un contenu. De plus, comme l'information est mêlée à des contenus qui ne sont pas à vérifier (photos personnelles etc...), on en oublie l'importance de la vérification de l'information en général.
L'étude suggère donc qu'une forme d'intervention inattendue mais qui pourrait être efficace est tout simplement l'idée de rappeler qu'il faut vérifier l'information en général, dans un autre contexte que le coronavirus, pour développer l'esprit critique.
2) Le travail de Grimes
Je remercie David Robert Grimes pour son travail. Il a publié un superbe papier le mois dernier, dont voici le contenu...
J'avais déjà beaucoup aimé sa publication sur le délai qu'il faut avant qu'un complot ne soit révélé, permettant d'évaluer la probabilité qu'un complot subsiste selon le temps écoulé (il est hautement improbable à cette date qu'il subsiste un complot non révélé sur le 11 Septembre par exemple).
Il évalue donc la possibilité qu'un complot autour du coronavirus ait lieu :
A) la COVID n'existe pas et sert à nous priver de nos libertés
B) la pandémie est une ruse de Big Pharma pour nous forcer à nous vacciner
C) la 5G est à l'origine du coronavirus
Selon son analyse, même dans les circonstances les plus idéales pour les comploteurs, les théories du complot les plus communes auraient du mal à rester dans le secret et seraient rapidement démontrées et exposées.
Il évalue aussi l'acceptation médico-scientifique, les motivations derrière la propagation de fausses informations et l'importance de contrer cette désinformation.
Les fausses informations ne sont pas une nouveauté, mais avec les réseaux sociaux, la fausse information la plus diffusée touche 100 fois plus de personnes que l'information vraie...
Celles-ci ont deux origines :
soit une mauvaise compréhension, comme ce fut le cas pour ce fameux brevet...
soit ce sont des désinformations délibérées, parfois pour des motivations politiques par exemple
La désinformation pré-existante avait déjà créé une forte défiance envers les vaccins par exemple, et réduit la couverture vaccinale dans la population. C'était d'ailleurs une des 10 plus grandes inquiétudes de l'OMS en 2019.
Le refus de la médecine "conventionnelle", la description de la radio ou de la chimiothérapie comme des poisons de l'industrie pharmaceutique, au profit de thérapies "alternatives", a eu des conséquences mettant en danger la vie de patients.
En général, le tableau de l'acceptabilité peut être décrit par cette figure, avec des proportions variant d'un pays à un autre.
En Europe, l'acceptation des vaccins est de 50% mais va de 70% au Portugal à 36% en Hongrie.
Pour le coronavirus, elle va de 90% en Chine à 55% en Russie.
La population touchée est importante (25% des américains pense que c'était planifié, 8% des anglais que la 5G cause la covid...) et cela a des conséquences comme une manifestation de 17 000 personnes à Berlin en août 2020.
Pour contrer les théories du complot, une approche "Socratique" semble être la plus efficace, à savoir ne pas les rejeter d'office, mais les questionner, les interroger...
La probabilité qu'un réel complot soit révélé dans le temps suit une loi exponentielle dépendant du nombre de comploteurs au départ, avec un modèle mathématique qui s'est avéré efficace..
Le risque de révélation du complot ("Failure") est modélisé à partir du nombre de publications par les scientifiques dans le temps.
En prenant en compte le nombre de personnes impliquées grâce au nombre d'employés dans chaque organisme, Grimes va montrer le temps pour qu'un complot d'invention de la pandémie, s'il était réel, soit révélé :
Pour ce qui concerne un complot de Big Pharma, on le saurait depuis un moment, la probabilité de "Failure" est proche de 100% dès la 40ème semaine !
Pour la 5G on l'aurait appris encore plus rapidement, en une 10aine de semaines !
Benjamin Franklin disait que "3 personnes peuvent garder un secret, si deux d'entre elles sont mortes !"
Le seul complot qui tiendrait encore, n'impliquerait que les organismes de santé officiels comme l'OMS, chercheurs EXCLUS. Il faudrait 3 ans pour avoir 50% de chance de révélation du complot...
Mais si les chercheurs sont complices, on tombe à 10 semaines !
Cette étude a été réalisée en maximisant les paramètres en faveur d'un complot, donc c'est un peu le "pire des scénarios", ou le plus complotiste...
Au bout d'un an (limite bleue), un complot ne pourrait persister qu'avec moins de 100 000 personnes complotrices et un "taux de révélation" d'une chance sur 1 million (ce qui est faible)...
L'influence des opinions politiques dans la désinformation est une piste intéressante à évaluer, car elle a déjà été démontrée par Kahan.
Il existe même de la désinformation délibérée comme Operation INFEKTION, le mythe du SIDA fabriqué par l'homme, campagne de désinformation soviétique.
L'Etat Russe diffusait de la désinformation sur la 5G avant même la crise du coronavirus.
Le rôle des célébrités et des politiciens n'est pas neutre non plus dans la diffusion des fausses informations.
C'est intéressant parce que les antimasques ne sont pas toujours des gens sans niveau scolaire ou éducatif, comme l'a révélé cette étude :
"plus de femmes et plus de quinquagénaires que chez les Gilets jaunes, ils ont aussi la particularité de regrouper des catégories socio-professionnelles plus éduquées. "Ils sont marqués par un tropisme de droite, contrairement aux Gilets jaunes, plus ancrés à gauche"
L'effet Dunning-Kruger est aussi à l'œuvre, par exemple les antivax se disant les mieux renseignés sur l'autisme et les vaccins en avaient les moins bonnes connaissances dans des tests...
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