mercredi 8 avril 2020

Réponses aux questions les plus fréquentes

"On ne sait pas si ça marche, mais il vaut mieux tenter quelque chose que d'attendre les études pendant 2 ans non ?"

En fait non. Et la raison est simple : la formulation de la question induit en erreur. Elle ne laisse que deux possibilités (guérit ou ne fait rien) là une troisième chose est possible (elle aggrave la maladie). Tant qu'on ne sait pas s'il ne vaut pas mieux ne rien faire que de faire du tort avec un médicament, il faut encore comparer avec "rien". 
Concrètement, si un médicament augmente tellement légèrement le taux de mortalité que ça ne se remarque pas trop sur un petit échantillon (par exemple, passer de 1% à 2% de mortalité), sur 100 000 cas cela représente 1000 décès en trop.
Un exemple historique très intéressant est le fils du tsar Nicolas II, Alexis Nikolaïevitch de Russie, guéri par Raspoutine alors qu'il souffrait d'hémophilie. Tous les médecins de l'époque avaient échoué, et Raspoutine fit arrêter tout traitement et utilisa des pouvoirs "de magicien". On ne peut l'affirmer avec certitude, mais l'hypothèse la plus probable de cette guérison est tout simplement l'arrêt de tous les traitements parfois invasifs (comme des saignées)... 
Je renvoie également à l'excellente vidéo de Lê qui explique cela :


"Mais c'est un générique, le Big Pharma n'y gagne rien !"

Je dirais qu'on est plutôt dans une phase d'exploration, avec des intérêts financiers énormes et une course au médicament. Certains sont donnés dans les cas graves et coûtent plus ou moins cher, mais les entreprises pharmaceutiques seront gagnantes sur un générique comme sur un non générique. Tout dépend de la marge, et même si le tout venant peut en théorie fabriquer et vendre du générique, personne n'a les moyens de déployer des usines et de lancer des chaînes de production pour concurrencer celui qui commercialise déjà un produit. Il y a très certainement une course aux patients, pour avoir davantage de patients traités avec "son" produit, des enjeux politiques à cause de prises de positions de leaders de partis, beaucoup de choses qui empêchent un déroulement serein de cette phase. Dans le cas du traitement préconisé par le professeur Raoult, l'avantage financier pour les entreprises pharmaceutiques est énorme : si tous les patients qui normalement guérissent sans rien prennent un médicament, c'est des centaines de milliers de clients supplémentaires. Même si la marge est plus faible, le nombre vaut le coup. Et puis, avec un peu de "chance", ce médicament aggrave réellement la maladie comme la tendance des études préliminaires l'indique (sans aucune significativité statistique) : dans ce cas, il y aura davantage de cas graves avec d'autres médicaments plus puissants à vendre. La perspective du Big Pharma est loin d'être hostile à l'hydroxychloroquine.

"C'est le plus grand expert mondial des maladies infectieuses"

Dans la recherche, ce qui fait une carrière, c'est les publications scientifiques dites "peer reviewed", revues par des pairs dans des journaux qui désignent un comité de lecture scientifique. Plusieurs dérives que je dénonçais et qui m'ont fait quitter la recherche existent. Premièrement, comme dans la politique, certains directeurs de labo ont créé des réseaux avec des éditeurs de journaux scientifiques, sont les relecteurs officiels, imposent leur avis et parfois perdent en intégrité dans ce qui peut ou ne peut pas être publié selon leur opinion.
Ensuite, un paramètre important est le facteur d'impact pour un chercheur. Ce n'est pas tout de publier, si on publie dans un journal miteux on n'est pas aussi considéré que si on publie dans un grand journal. Cela s'évalue au nombre de fois où notre publication sera citée dans d'autres publications. Des biais sont alors à l'oeuvre : certaines thématiques de niche comme l'étude de mécanismes moléculaires rares dans des bactéries rares ne vont pas du tout être citées, même si la qualité de la recherche y était exceptionnelle. Cependant, on a tendance à considérer qu'il faut un certain facteur d'impact pour être crédible, bien plus qu'un nombre absolu de publications. 
Enfin les directeurs d'institut ont une certaine autorité, surtout lorsqu'ils ramènent les principaux financements. Et dans ce contexte ils peuvent décider d'être des agents commerciaux de leur institut pour apporter de nouveaux financements, devant alors être en vue dans les publications scientifiques. Ainsi, certains vont, sans jamais lire le contenu des journaux scientifiques, publier des articles massivement.

"Il dérange, c'est pour ça qu'on veut le faire taire"

Le professeur Raoult était un des héros de la privatisation de la recherche sous Nicolas Sarkozy. En effet, la recherche publique avait des finances gérées par des conseils scientifiques, et il a été décidé de créer des IHU, ayant un statut de "fondation". Ceci permet des financements privés d'entreprises, et c'est ainsi qu'était présenté l'IHU méditerranée, pépinière très proche du privé, grassement financée par Sanofi au niveau de la recherche et surtout construite avec de l'argent public attribué sur la recommandation de Juppé et Rocard, rien que ça. 
Didier Raoult ne s'en cache pas et présente cela très fièrement, avec Eurobiomed où il apparaît comme porteur du projet Nivachick, financé largement par Sanofi. D'ailleurs, lors des conférences, une grande part est faite à ce partenaire Sanofi.
On retrouve aussi des appuis de poids dans ce réseau Sanofi autour de la Chloroquine, puisque Xavier Niel est l'administrateur de Kohlberg Kravis Roberts & co , propriétaire de Famar que Wauquiez a appelé à renflouer, pendant que Douste-Blazy appelait à suivre le traitement Plaquénil (c) Sanofi et que Christian Estrosi organisait, aidé par Sanofi encore une fois, tout un système de dépistage / traitement de personnes saines.

"Discovery ils appliquent pas le protocole comme il faut : il faut le prendre dès le début"

En fait, s'il y a une chose à reprocher à discovery, c'est bien que le projet ne teste que les molécules qui n'ont pas eu d'effet considérable en Chine, d'après les témoignages et les retours qui n'ont par contre aucune valeur statistique. Cette étude va permettre d'officialiser que les produits Gilead et Abbvie (principaux influenceurs du conseil scientifique d'Olivier Véran) ont un effet très modéré, peut-être un peu positif, nous verrons.
Cependant, il est très dommage de ne pas y voir figurer le générique Camostat, très prometteur sur le papier, ou encore le Tocilizumab (c) Sanofi, qui s'est montré efficace selon les témoignages oraux des médecins italiens sans requérir de pression médiatique, ou encore le Favipiravir (issu d'une petite boîte Japonaise qui a été rachetée par Fujifilm, sans gros réseau pharma pour la pousser) qui a également eu quelques retours oraux positifs et encourageants. 
Pour l'hydroxychloroquine, que je classerais avec les molécules peu prometteuses car déjà employées sans avoir généré de révolution, je tiens tout de même à rappeler une utilité tardive. En effet, la cible du tocilizumab est l'interleukine-6. C'est un anticorps dirigé contre cette cytokine, ayant donc pour objectif de réduire le choc cytokinique. Et devinez quelle molécule a été montrée comme réduisant l'interleukine-6 ? Oui vous avez bien deviné, l'hydroxychloroquine. Donc peut-être qu'en cas de choc cytokinique, elle peut avoir un intérêt, bien que l'anticorps aura beaucoup moins d'effets secondaires puisqu'il est spécifique...

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